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Accueil du site > Economie humaine > Colloque 2011 à Recife : Lebret et l’urbanisme

L'urbanisme n'est pas une science exacte

Entretien avec Raymond Doerflinger - Economie et Humanisme n°326 oct. 1993

Centriste et proeuropéen quasi-historique, puisqu’il est élu local MRP, puis CDS, depuis 1959, secrétaire général de la Commission Internationale du Rhin et actif promoteur du message de Robert Schumann, R. Doerflinger est maire par goût et conviction ; maire d’une commune de banlieue de 25 000 habitants à la population diversifiée – « une dominante d’ouvriers, mais pas tous prolétarisés » - Montigny-lès-Metz (Moselle). En lien direct avec ce mandat, il est le secrétaire général de l’Association Nationale des Maires Villes et Banlieues.

R.D. : Au départ, la ville de Montigny s’est structurée, comme beaucoup d’autres, sans que personne n’ait élaboré une réelle politique en la matière. L’armée était d’ailleurs reste, très présente, et la SNCF, parallèlement à des ateliers importants, a construit ses « cités ». Mais après 1945, la municipalité a impulsé l’urbanisation, avec en particulier l’aménagement d’un parc de 2 000 logements HLM, gérés en Office municipal, puis, tout à fait récemment, celui du centre ancien. Créer un centre, c’est donner aux habitants d’une ville un facteur d’identité supplémentaire, et pour certains, nouveau.

E.H. : La municipalité que vous présidez depuis 1981 peut donc afficher une maîtrise de l’urbanisme local…

R.D. : Oui, mais pas dans une position isolée. Un programme d’urbanisme a un contenu, mais ses phases, ses dimensions finales ne peuvent être déterminées qu’avec la population, et pas seulement en la consultant formellement. L’urbanisme n’est pas une science exacte, et une opération réussie doit s’achever quand on sent plus l’intégrer dans leur vie, même s’ils l’avaient appréciée au départ.

Faire place au qualitatif

La discussion en équipe municipale fait place au qualitatif, presque au sentimental : si les gens disent « c’est trop de béton », il faut s’arrêter. Car l’homme conserve de son animalité originelle la notion d’un territoire ; il veut s’y trouver bien, et l’urbanisme doit en tenir compte.

Cela se vérifie aussi à propos des équipements collectifs. J’ai près de chez moi une cité PSR dont les enfants jouent au football sur place, entre les immeubles, alors que l’ensemble HLM proche comprend un grand complexe sportif. Ces jeunes ne sont pas, comme certains le disent « trop paresseux pour s’y rendre », mais, aujourd’hui du moins, veulent rester chez eux, à l’intérieur de leur territoire. Les équipements ne doivent pas être disposés dans une ville selon des quotas ou un quadrillage théorique. Certains d’entre eux ne rempliront jamais leur office s’ils ne sont pas des équipements de grande proximité.

E.H. : Quels éléments du contexte local, ou de la gestion municipale, permettent-ils, en fait, d’avoir prise sur la réalité urbaine ?

R.D. : Les contacts directs entre élus et habitants, et une vie associative étoffée. Ces deux facteurs sont d’ailleurs en partie liés. Un avantage d’une collectivité locale comme la nôtre est que sa taille permet la rencontre directe entre le maire et les habitants, en sachant bien que pour celui-ci, c’est épuisant, et que cela impose un travail d’équipe entre élus, surtout quand le maire n’est pas détaché à temps plein sur son mandat, mais conserve une activité professionnelle extérieure.

Ceci dit, l’action du maire, sur le plan humain, ne va pas très loin, même s’il reçoit ou tient des permanences. C’est ici qu’interviennent les associations, quatre vingt-trois à Montigny. Elles seules permettent à une ville de devenir conviviale. Et les municipalités devraient les appuyer même si elles ne regroupent que peu de membres.

E.H. : Les associations, corps intermédiaires à l’échelle d’une ville, avec un certain pouvoir ?

R.D. : Oui et non. Avec les comités de quartier institués dans certaines villes, on a vu le danger d’un contre-pouvoir qui s’approprie des tâches qui sont celles du conseil municipal ; on doit se concerter en respectant une limite : elle correspond aux actes et aux domaines dans lesquels la municipalité engage sa responsabilité.

E.H. : Peut-on cependant tout résoudre et tout maîtriser au niveau d’une commune de 25 000 habitants qui est dans la banlieue d’une agglomération dix fois plus importante ?

R.D. : Certains problèmes se rapportent dès leur origine à l’agglomération, comme la gestion des déchets. D’autres, celui de la sécurité, par exemple, appellent une concertation intercommunale s’ils s’aggravent.

La grande délinquance est rarissime à Montigny, et la délinquance « ordinaire » est liée surtout à l’implantation d’un centre de recrutement de l’armée, et au passage pour le moins bruyant de groupes de jeunes provenant de Metz. Bien sûr, quelques-uns de nos concitoyens passent leur vie en prison, ou presque, mais je les connais, je peux les convoquer en mairie, leur parler. Userais-je de la force avec eux, ils l’accepteraient. Pour eux le maire est un chef de clan.

Une intercommunalité en souplesse

Sur cette toile de fond, la diffusion, assez récente, de la toxicomanie. Elle pose des questions bien plus graves que l’exaspération du simple citoyen devant de petits vols, et remet en cause un résolution des conflits par le contact rapproché ; les interventions de la police municipale ou nationale, du maire ne suffisent à résoudre les problèmes liés à la drogue. D’où un important volet en rapport avec la toxicomanie dans le contrat de ville que nous avons établi pour l’agglomération messine. Montigny voit maintenant l’intervention d’éducateurs de prévention, et cela est nécessaire. Le contrat de ville est un bon outil face aux situations difficiles.

Mais dans ce domaine, comme dans d’autres qui appellent une action intercommunale, la coopération doit être souple. Les projets, impérativement, doivent précéder les structures, des structures légères, efficaces… Les communes de banlieue n’ont pas à s’aligner trop simplement sur les requêtes des villes principales ; celles-ci ont plus d’une fois, comme Metz, tendance à se doter sans concertation d’équipements prestigieux, puis à chercher une coopération avec leur périphérie pour éponger le surcoût du fonctionnement de ces services.

E.H. : Que dites-vous aux élus des communes qui veulent éviter l’implantation de logements sociaux sur leur territoire ?

R.D. : Les réalités parlent d’elles-mêmes. Toutes les communes se rendent compte que pour maintenir leur population elles sont obligées de construire du neuf. En rapport avec l’évolution socio-économique de la Lorraine, il ne peut s’agir que de programmes de logements collectifs. Et voilà que certains rêvent encore d’attirer vers « leurs » ensembles HLM les classes moyennes.

E.H. : Qu’apporte le travail entre villes de régions différentes ?

R.D. :Il permet de mûrir et de faire avancer des réponses concrètes aux difficultés communes ; sur un problème comme celui de la délinquance des mineurs, qui nous touche tous, nous devons trouver entre élus des solutions et nous y parviendrons, au-delà des clivages politiques.

Dans ces travaux entre villes, les élus centristes, dont je suis, paraissent jouer sur du velours, entre des élus libéraux, et des socialistes qui accordent encore un grand rôle à l’idéologie. Mais les positions concrètes se rapprochent, j’en suis convaincu, même si l’adéquation entre nos politiques municipales ou intercommunales et nos convictions, par exemple à propos de l’accueil des gens du voyage, est difficile.

E.H. : Les maires ne tendraient-ils pas, à partir de ces concertations plus opérantes que dans le passé, à représenter un corps nouveau dans la vie démocratique française ?

R.D. : C’est effectivement une retombée de l’existence des associations entre maires comme « Villes et Banlieues ».

Propos recueillis par Vincent Berthet


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