Séminaire 3 – La participation et la gestion démocratique du développement
Quelle est la logique de cette « participation » au cœur des débats aujourd’hui : relation formel/informel, secteur public/« société civile » ?
Quelle stratégie de l’acteur institutionnel lui-même ?
La première session du troisième séminaire, ouvre un nouveau volet de cette formation, celui de la participation. C’est la suite logique de l’adoption, tout au long du cycle de formation, d’une approche pluridisciplinaire qui vise le développement de tout l’homme et de tous les hommes, et de son outillage par une démarche responsable menée par l’adulte qu’est chacun d’entre nous, dans une double posture d’acteur et d’auteur de son propre développement, dans son propre environnement. N’est ce pas là le fondement même de la participation active et consciente ?
Oui, active, pour marquer la différence avec ces autres aspects de la vie que chacun d’entre-nous subit, au gré des évènements ou des messages reçus, laissant guider son comportement par un décideur extérieur, qu’il soit génétique, médiatique, publicitaire, de l’ordre de la fatalité ou de l’ordre économique et social établi : c’est aussi une forme de participation, mais passive, celle là.
L’usage actuel du qualificatif « participatif », rassemble dans un même panier des aspects aussi complexes que la gestion, la démocratie ou le développement. Les sauces auxquelles ce terme de participation est servi, au goût du jour, des crises ou des besoins, justifient bien de lui consacrer un temps pour, une fois de plus, préciser de quoi on parle ici : de quelle participation s’agit-il ?
Un individu donne un avis sur un projet dans son quartier, son entreprise, son service : quelle forme prend sa participation ? Sur quoi va-t-elle s’appuyer ? Des questions que chacun de nous peut se poser… La connaissance est le premier pilier de la participation. Paulo Freire traduit cela par la « conscientisation » qui est, pour chacun, le début de la liberté et de la responsabilité. Cela commence par « savoir qui, moi acteur, je suis » : le tigre qui sert de descente de lit au baron de l’histoire est bien vivant mais jamais ne lui vient l’idée de dévorer son maître, car celui-ci a installé devant ses yeux un miroir rétrécissant. Le tigre ne sait pas « qui il est », il n’a conscience que de l’image qui lui est renvoyée. Cette connaissance de soi se prolonge par la connaissance que chacun de nous a de son environnement, et de ce qu’il y fait : au travail à la chaîne, je peux ne connaître que le geste que je répète, ou, au contraire, l’ensemble du processus dans son contexte (conception, production, gestion).
J’agis, je participe certes au processus, mais quelle est ma position de libre choix, de responsabilité, dans la décision, dans la gestion de l’action ? Ma participation, ma créativité sont-elles sollicitées pour définir l’objectif, ou se limitent-elle à chercher comment atteindre un objectif tracé par d’autres ? Suis-je partie prenante de son évaluation, de sa projection vers l’avenir ? Quand bien même, ayant accès aux informations et au processus de décision, je serais en position de choisir, ai-je les compétences pour intervenir de façon pertinente dans ce processus de décision ?
Comment acquérir connaissance, responsabilité, compétence, ces trois piliers fondamentaux de la participation indiqués par Roland Colin, sinon par l’éducation ? Investir dans l’éducation, processus libérateur dans le processus de développement, est dès lors incontournable. Si une société veut que ses membres participent, elle tracera une stratégie d’éducation qui les préparera, tous, dans ce sens. Dans le cas contraire, pour participer, ses membres - exclus ou non préparés - devront s’auto-éduquer. C’est ce que dit l’histoire de la socialisation du groupe d’exclus de Cahors.
L’expérience de Cahors éclaire le statut de ceux qui cherchaient à élucider la question des origines de la rupture sociale : ils étaient sujets de la problématique dont ils parlaient. Ce cas a soulevé la question de la relation entre individu et collectif : les « clients de l’action sociale » constituent un groupe d’acteurs qui cherchent ensemble une solution à leur problème. Le sociologue des institutions, Cornelius Castoriadis, qualifierait ce groupe d’instituant. Il qualifierait d’institué le groupe au service duquel travaille l’assistante sociale : le collectif élargi, dont chacun de nous fait partie, a délégué à cette institution un pouvoir, celui d’organiser, et gérer les moyens de mise en œuvre de son mandat, au service de ceux qui l’ont mandaté.
L’institution peut se sentir à l’abri : ceux qui l’ont mandatée ne lui demandent plus de comptes ou ne se considèrent pas compétents pour cela. Pourtant, nous dit Roland Colin, il n’existe pas d’institution qui puisse éluder la question de la participation de ses membres. Le regain de cause de la démocratie participative, qui ne date pas d’aujourd’hui, montre que, même pour cette vieille institution qu’est la démocratie, le contrôle de la prise de décision et de sa mise en œuvre est au centre de la question.
Ce n’est pas un hasard si, en Haïti(1), les organisations paysannes réclament, avant d’aborder toute question relative à leur participation ou à leur relation avec les pouvoirs publics, une redéfinition du terme de société civile, dont ils considèrent que le sens a été détourné par une société mondialisée qui les exclut. Le Nord et le Sud sont bousculés par la migration, qui affecte la relation individu – collectif, et donc la participation de chacun au projet collectif. Le communautarisme devient menace ou moyen de défense. La participation passe alors par une redéfinition de la communauté, qui n’est pas l’atomisation du corps social – cet ensemble que nous constituons -, ni sa mise en ghettos par des murs religieux, ethniques ou sociaux, mais le lien social entre hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, partageant consciemment un même espace.
[1] - Rapport de l’atelier « Relations entre société civile et pouvoirs politiques en Haïti », juin 2006, disponible sur demande : contact@lebret-irfed.org (prix : 10 €).