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Théorie et pratique de la recherche-action

Séminaire 2 – La recherche-action - Théorie et pratique

Comment parler de la recherche-action ?

Comment la situer par rapport à la recherche conventionnelle ?

Pourquoi lui attribuer une place si importante dans le traitement de la problématique du développement ?

Parlons de la recherche-action. Mariage insolite de positions souvent jugées incompatibles par les professionnels, tant chercheurs qu’acteurs : pour les premiers, la recherche-action ne serait qu’une pantomime de la recherche dont elle ne peut atteindre la rigueur et l’universalité. Pour les seconds, la recherche-action serait un jeu de l’esprit inefficace. Les deux parties s’accorderaient sur son caractère subversif qui déconsidère les règles de la hiérarchie, du pouvoir et du savoir.

Dans un processus de changement, le point faible de la recherche conventionnelle est son objectivité déclarée : elle est relative, car, tout comme l’acteur, le chercheur est un être humain dans toutes ses dimensions, il a sa socioculture et son propre rapport avec l’environnement où il se trouve.

Telles sont les limites de la démarche « non impliquante » de la recherche conventionnelle : elle ne prend pas en considération la parole de l’acteur, sa capacité de comprendre sa propre action. Elle empêche le chercheur de considérer le miroir déformant de sa propre interprétation. Elle masque la libre stratégie de réponse de l’acteur interviewé.

Certains, comme Bourdieu, reconnaissent la part de subjectivité du chercheur en sciences sociales. Ce qui revient à considérer le chercheur comme un acteur social et à reconnaître, avec le sociologue Max Weber, le rôle essentiel dans l’action sociale du « sens subjectif de l’acteur dans sa perception de son action ».

En étant privé de la part de subjectivité qui existe dans chaque acteur et dans chaque chercheur, le résultat de la recherche est faussé car il ne peut comprendre les ressorts de l’action ni tenir compte du moteur de notre changement de comportement à tous : la motivation, l’affectivité.

Il en est de même pour le résultat de l’action :

En refusant la parole à l’acteur, en écartant sa subjectivité, sa créativité, en posant une cloison étanche entre « ceux qui sont payés pour penser » et ceux qui sont les « exécutants » ou les « bénéficiaires », le manageur, le décideur, le concepteur de projet se prive d’efficacité et de possibilité d’un nouvel équilibre viable, durable.

Réfléchissant sur la sacro-sainte science, fondement du pouvoir et du savoir des maîtres de l’universel, Kurt Lewin va plus loin : certains phénomènes sociaux et les résistances au changement ne peuvent être compris que par l’implication des acteurs. Il décide de faire rentrer la recherche dans l’action et y intègre la dynamique de groupe.

Donnant la possibilité à des groupes de ménagères américaines de réfléchir sur le changement de leurs propres habitudes alimentaires (une nécessité nationale en période de guerre), Lewin prouve que cette démarche est plus efficace que toute campagne d’information aussi intense et argumentée soit elle. D’objet passif d’étude, chacun de nous devient acteur du changement, s’investit dans la recherche et réfléchît sur lui-même.

De là à la parole signifiante de Desroche, il n’y a qu’un pas, un grand et qui ne s’improvise pas : celui qui fait que l’acteur devient à la fois le chercheur sur sa propre pratique, et l’auteur de sa propre recherche. Pédagogue, Desroche dote cette démarche de la méthode et des outils pour que chacun gagne la distance critique nécessaire à la construction d’un savoir à partir de sa propre action, en y intégrant les facteurs affectifs.

Quel est l’intérêt de tout cela ? Faire surgir et remonter des évidences inédites, ou comme dirait Paulo Freire, des « inédits viables », résultats d’une pensée locale consciente de la globalité de son environnement. Parmi les participants à ce cycle de formation, certains sont déjà impliqués dans une telle démarche sur leur action dans le monde rural des organisations agricoles et des vignerons, dans celui de l’action sociale ou du marché de l’art, et d’autres encore. Il en sort des écrits comme « Le vin nous rend fou » où ils retracent à la fois l’explication de leur problématique, leur propre implication et la traduction de leur recherche en un changement de leur pratique, porteur de sens dans un monde en mutation.

La recherche-action s’applique à tout champ disciplinaire, là où il y a un acteur et un questionnement. Elle peut naître de l’initiative collective, (en périphérie ou au sein des institutions) ou individuelles, avec ou sans mandat. Elle produit des étincelles. Pourtant, peu connue par manque d’écrits, elle est trop souvent considérée comme déplacée, dans un contexte économique basé sur la rentabilité et sur la certitude de tout pouvoir prévoir même l’imprévu. Elle est marginalisée dans le monde de la pensée globale dominante.

Quelle en est la cause ? Peur de réunir ce qui est sectorisé ? Peur de ce qui produit du changement ? Peur d’en perdre le contrôle, peur du chaos ? En effet si toute réalité est soumise au changement, elle passe par ce stade rassurant de la cristallisation où les rapports de force semblent bien établis. Or le travail de groupe, qui reconnaît le point de vue de chacun de ses membres, permet, oblige, à dissocier les éléments de cet ensemble, à les disjoindre, à les expliquer. La recherche fait disjoncter pour libérer la créativité. Il en résulte une période de déstabilisation qui n’est pas viable. Une recristallisation est alors nécessaire, l’aboutissement du changement à un nouvel équilibre. La recherche-action est un cycle qui n’aboutit pas au chaos mais à ce nouvel équilibre impliquant ses acteurs dans leur environnement.


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