Avançons un peu plus dans le cheminement du cycle « développement et recherche action : le développement de tout l’homme et de tous les hommes.

Nous avons vu l’importance de comprendre, par la parole des acteurs, leurs sociocultures en mouvement, pour tracer une stratégie d’action de développement. Le mouvement doit avoir conscience de ses fondements, et c’est à l’acteur d’élucider son parcours, pour nourrir son projet sans retomber dans les ornières. C’est l’objet de l’intervention de Christophe Vandernotte : connaître les racines de la recherche action pour mieux la développer. Le voyage sera fertile car il est dit que « les vieux pommiers ne font pas de vieilles pommes ».

Avez-vous déjà entendu parler de Henri Desroche⁽¹⁾ ? Cet accoucheur contemporain du daïmôn, du génie qui habite chacun de nous, faisant renaître la maïeutique chère à Socrate ? Ce passeur de frontières des mots en -isme et des dogmes, qui refuse d’être catalogué ? C’est un homme avide de créativité - tant personnelle, de l’artisan, que collective, de l’atelier - qui s’ouvre sur le monde des personnes et des idées, questionne une réalité sociale où il se mouille. Un homme des utopies écrites ou, plus encore, pratiquées.

Lyrisme ? Non, alliage solide de la recherche et de l’action.

En France, la formation continue, la validation des acquis, l’éducation permanente sont ancrées dans l’environnement, telles des droits acquis depuis toujours. Elles doivent beaucoup à ce pionnier de la formation des adultes qui est, aujourd’hui, source d’inspiration de travaux en cours menés tant au Brésil qu’en Italie.

Quel lien entre éducation permanente, recherche action et développement ? Un pas de plus au-delà de la simple transmission de savoir, de la voie unique, un pas qui libère la créativité de l’adulte, lui permettant d’être acteur de l’action et auteur de la recherche. La relation maître-élève change. Par un processus d’apprentissage mutuel (le "s’éduquant" québécois), elle éveille :

• l’intelligence de l’action menée par des hommes acteurs de leur changement ;
• le pouvoir de régénération de l’acteur bloqué, qui, avec la casquette du chercheur, prend du recul sur le terrain même de son action.

La recherche action ouvre le passage d’une expérience locale, jamais trop concrète, à la production de ce qui peut être approprié par d’autres acteurs. Car, nous dit Desroche : « chaque vie est un universel concret dont l’expérience représente un réservoir de créativité inédite ». Le RHEPS, les universités rurales sont autant d’exemples vivants de milieux de culture où cette créativité, par le processus d’écriture, s’ouvre au partage.

Ce n’est pas un hasard si l’auteur/acteur de la recherche-action a trouvé sa substance dans des espaces exclus (le Québec, le Brésil, le tiers monde), à des moments de crise comme celle d’une Eglise coupée de la réalité du monde « prolétaire », ou des indépendances comme celle du Sénégal qui réunit sur le terrain Mamadou Dia et Roland Colin à Lebret et Desroche autour d’expériences de la participation et de l’éducation.

La multiplicité des sites Web se référant à l’expression « recherche action », l’origine si diverse des participants à ce cycle sont autant d’indices d’adaptation et donc de vitalité de cette démarche et du savoir coopératif. Reste le risque de n’avoir que la coquille vidée de sa substance, oubliant les fondements d’une éthique coopérative réunissant pour Desroche : Créativité, Solidarité, Responsabilité de l’homme sur son environnement et Oecuménisme.

Desroche est un pédagogue, il sait que ce qui fait la force de l’acteur chercheur sur sa propre action en fait aussi sa faiblesse. La distanciation est cruciale.

Démarche volontaire, la recherche action est donc aussi une méthodologie qui aide la personne à aller vers ce qui fait sens pour elle. La réponse à « tu viens d’où, tu veux aller où ? » en est la condition première et un enjeu majeur : cerner, formuler la question, déficeler le paquet, découvrir le rapport entre « mon projet et mon environnement », entre « moi, acteur, auteur et mon projet », et dire « j’existe », voilà, nous dit Desroche, la condition pour s’autoriser à devenir auteur.