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L'appropriation de la pensée catholique sur le développement à travers l'avènement des mouvements de libération en Amérique latine 1967-2007

CR Session 3 - 19 décembre 2006

Henryane de Chaponay, fondatrice de l’IRAM et du CEDAL, spécialiste des relations avec l’Amérique latine après un long travail au CCFD et au conseil œcuménique des Eglises.

François Glory, ancien chef scout et prêtre missionnaire au Brésil (Mission Etrangère de Paris) où il effectue, pendant 25 ans, un travail avec la CPT, notamment sur la transamazonienne

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L’impact de l’encyclique Populorum Progressio en Amérique latine s’analyse au regard de la portée de la théologie de la libération dans le continent. A l’heure de sa publication, en 1967, la grande problématique est, en Amérique latine : « doit on parler de développement ou de libération ? ». On retrouve les grands termes du débat à l’occasion de la conférence de Medellín, un an après la parution de l’encyclique.

On propose de prendre l’exemple du Brésil et d’en retracer ici, plus ou moins chronologiquement, l’évolution du contexte social et ecclésial à cette époque.

1. L’évolution du contexte social brésilien

Jusqu’à cette époque, l’Eglise catholique remplit le rôle de courroie de transmission entre les élites politiques conservatrices au pouvoir et les masses populaires. Mais dans les années 1950, l’Eglise sent que ce rôle de relais entre élite et couche populaire est voué à la disparition. D’autant plus que les églises évangéliques, le marxisme et le spiritisme d’Alan Kardec, prenant de plus en plus d’ampleur, représentent des concurrents sérieux au sein de ces masses populaires.

Ainsi, l’Eglise catholique de l’après-guerre est contrainte à la remise en cause de sa fonction traditionnelle au sein des élites politiques conservatrices. Le contexte social et économique du pays après la guerre va également contribuer à cette remise en question et faire d’elle, en quelques années, l’avant-garde des idées sociales et théologiques qui ont révolutionné l’approche latino-américaine du christianisme dans les années 1970.
Tout d’abord, le rôle croissant des mouvements de laïques (Action catholique : JOC, JUC…), conçu à l’origine pour romaniser l’Eglise catholique brésilienne, est sans doute le facteur le plus manifeste du tournant social pris par l’Eglise.
Par ailleurs, l’industrialisation et l’urbanisation de masse qui s’établissent de manière très rapide à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, creusent les inégalités sociales du pays, tant en milieu rural qu’en milieu urbain, mettant ainsi l’Eglise dans une position où il lui devient impossible de ne pas se positionner face à l’avènement brutal d’un modèle capitaliste lourd de contradictions sociales.

Ainsi, en quelques années, réagissant à ces différentes pressions ( une nouvelle élite politique qui ne semble plus avoir besoin de son rôle de courroie de transmission avec le peuple, des groupes de laïcs à l’engagement politique de plus en plus affirmé, d’une situation sociale devant laquelle on ne peut plus fermer les yeux et des recommandations du Vatican), l ’Église catholique va se défaire progressivement de son immobilisme et de son attachement exclusif aux élites conservatrices. Elle doit peu à peu, s’engager, aux cotés des mouvements de l’Action catholique, dans la lutte contre les injustices sociales du pays. Ainsi, si une partie de l’épiscopat reste figée dans un discours de guerre froide, une autre partie va progressivement s’ouvrir à d’autres schémas de pensée et d’action.

2. Réaction de l’Eglise : la création de la CNBB

L’ouverture sur les réalités sociales de la hiérarchie catholique brésilienne se fait principalement à travers la création de la Conférence nationale des évêques brésiliens (CNBB) en 1952. Elle se constitue en une plateforme valable pour une coordination des efforts pastoraux des divers diocèses. Avec un programme de départ plutôt flou, elle se donne pour mission « d’ étudier les problèmes de l’intérêt de l’Eglise au Brésil en particulier, présenter des normes, approuver et coordonner des mesures qui facilitent et promeuvent l’unité d’orientation et d’actualisation nécessaire dans la pastorale »(1). Mais elle a en réalité comme objectif de se positionner de nouveau comme un acteur influent dans la vie politique du pays, à l’heure où l’exercice exclusif d’une stratégie de pression vis-à-vis des gouvernements, comme elle a toujours su le faire, ne fonctionne plus.

L’initiative de la création de la CNBB revient à Dom Helder Camara qui a compris avant tout le monde que la perte d’influence de l’Eglise catholique dans les sphères politiques n’est pas inéluctable si celle-ci arrive à promouvoir un discours social plus proche des aspirations des exclus de la société.

3. Le virage à gauche d’une partie du clergé : la question de la « conscientisation »

La CNBB est structuré sur le modèle de l’Action catholique. A cette époque, les militants universitaires chrétiens (JUC), laboratoire de la future CNBB, s’imprègnent de la pensée de penseurs catholiques français comme Maritain, Mounier, Lebret, Theilhard de Chardin et de théologiens comme Congar, Chenu et de Lubac. Ils inspirent une praxis pastoral qui met en première ligne les laïcs et ouvre la voie à de nouvelles formes de pratiques et d’organisation de l’Eglise.

C’est sur le thème de la réforme agraire que la CNBB rentre dans un débat aux accents politiques indéniables. La conférence des Evêques à Campina Grande en 1956 réunit les membres de la CNBB avec les experts économistes des institutions étatiques et le président de la République Jucelino Kubitschek. À l’heure où la CEPAL commence à prôner une politique de réforme agraire pour l’Amérique latine, les évêques affirment à leur tour l’importance de la mise en œuvre de la réforme agraire. À travers cette prise de position, la CNBB infléchit clairement son discours social en dénonçant les injustices sociales subies par les couches défavorisées et en déclarant leur solidarité primordiale envers les plus pauvres. Dans le souci de développement du Nordeste, ce ne sont donc pas des forces politiques à proprement parler qui sont les moteurs dans la mise en place d’institutions ayant pour objet de combler ce retard de développement. C’est la hiérarchie catholique, à travers la CNBB et avec l’appui d’experts catholiques du développement qui représente une véritable force de proposition pour le gouvernement. Cet engagement sur le terrain politique de la CNBB est certes indéniable, mais reste cependant nuancé, comme le montre son positionnement en faveur du régime militaire en 1964

4. Le concile Vatican II et l’écriture de Populorum Progressio

La mobilisation de l’épiscopat et de toute l’Eglise, à partir de 1962, pour le Concile Vatican II, constitue un grand événement dans le monde ecclésial. L’impact du concile a été plus immédiat et plus rapide en Amérique latine que dans d’autres régions et a atteint des dimensions qui ne furent même pas atteintes ailleurs après plusieurs années.

Avec le concile Vatican II, l’Eglise deviendra, pendant quatre ans, le centre d’une réflexion théologique qui, se voulant universelle, fera naître une grande espérance, et qui se plongera dans les problèmes du monde, avec l’encyclique Populorum Progressio notamment.

5. La conférence de Medellín : consécration de Populorum Progressio à travers la théologie de la libération

La lecture contextuelle du concile Vatican II s’est faite, en Amérique latine, au niveau de l’Eglise hiérarchique, par les assemblées épiscopales de Medellín (1968) et de Puebla (1979).
A Medellín, il y est affirmé que « la véritable libération exige une profonde conversion pour que vienne le règne de justice, d’amour et de paix » . Il faut « que soit présenté d’une manière chaque fois plus nette en Amérique latine le visage d’une Eglise authentiquement pauvre, missionnaire et pascale, déliée du pouvoir temporel et audacieusement engagée avec la libération de tout homme et de tous les hommes »(2).

En réalité, Medellín annonce le changement du regard de l’Eglise catholique vis-à-vis des pauvres et de la pauvreté. Au lieu de tenter d’en atténuer les effets pervers en demandant aux « gentils riches » de donner ce qu’ils peuvent aux pauvres, c’est aux pauvres, désormais appelés les exclus, de prendre conscience de leur situation (conscientisation) et de lutter pour leur libération. Le pauvre se reconnaît comme choisi par Dieu pour être un acteur de l’histoire.
Deux textes bibliques de référence viennent illustrer cela : l’exode (rapport au pouvoir politique égyptien) et le texte des prophètes. L’église n’est donc plus à l’interaction pauvre/ pouvoir, mais elle devient l’allié des luttes du peuple.

6. De la théorie à la pratique : la création des CEBs et des commissions pastorales

Les CEBs (communauté ecclésiale de base) sont apparues « comme le résultat d’une action de conscientisatrice du clergé et des religieux, qui aidaient le peuple à percevoir les éléments réels de sa vie et sa situation historique »(3). La croix devient à ce titre le symbole de la résistance qui conduit à la libération.
Parallèlement, sont créées, en 1972, puis 1975, le CIMI (conseil indigéniste missionnaire) et la CPT (commission pastorale de la terre). Partout dans le Brésil, des équipes s’organisent et s’inspirent du mouvement biblique de Mesters et de la méthode d’alphabétisation et de conscientisation de Paulo Freire.

7. Conclusion

Ce très fort mouvement de mise en pratique de la théologie de la libération subit des aléas à partir de la fin des années 1980 : condamnation par le Vatican du théologien Leonardo Boff, remplacement d’une bonne partie des évêques en activité au Brésil par Jean Paul II. On assiste donc aujourd’hui à un certain essoufflement même si on ne peut nier que la participation populaire continue d’exister dans les églises locales et que la prise de position du clergé brésilien concernant certains pans de la politique nationale continue d’être engagé (exemple : prise de position des évêques contre l’augmentation de 98% du salaire des parlementaires en décembre 2006).

Quoi qu’il en soit aujourd’hui, il est indéniable que l’Eglise catholique a joué un rôle considérable dans la constitution de la société civile latino- américaine contemporaine. A l’heure d’un grand virage à gauche de la majorité des gouvernements du continent, on peut analyser la théologie de la libération comme un des vecteurs de cette force émergente de la société civile du continent.

Notes

[1] - Article 1 des statuts de la CNBB

[2] - GOMEZ DE SOUZA, Luiz Alberto, Conclusion de Medellín, Cerf, 1992

[3] - AZEVENO, Marcello : Communautés ecclésiales de base, l’enjeu d’une nouvelle manière d’être Eglise, le Centurion, 1986


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