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De Bruxelles (Belgique) à Toyota (Japon)… des gens, des légumes et des fleurs !

par Kenjiro Muramatsu(1), Jacqueline Rorsvort et Lucrèce Monneret(2), Michel Ansay(3)


De Bruxelles (Belgique) à Toyota (Japon)… des gens, des légumes et des fleurs !

En évoquant la question de l’agriculture urbaine dans les villes du Nord, on se heurte d’emblée à une double difficulté.
Il y a d’abord cette association des mots agriculture et ville. L’une et l’autre n’ont-elles pas des fonctions spécifiques selon une division du travail à jamais établie ? A la campagne de produire, à la ville de consommer ! Tout en remarquant que la frontière entre la campagne et la ville tend à s’estomper !
Le mot « agriculture » (ager) est-il utilisé à point nommé ? Une main, somme toute assez lourde, contraint et soumet la terre (engrais, pesticides, semences, technologies diverses, machinisme, raison instrumentale ,…). L’agriculture (l’horticulture) en ville serait une sorte de paradis sur terre qu’évoque l’hébreu Pardes, traduction du mot « jardin » (Ouaknin, 1994). Dans l’ hortus, la «  relation est précautionneuse, c’est une amitié respectueuse » (Haudricourt, 1961).

Comment penser l’agriculture en ville ?
Peut-on penser l’agriculture en ville ? Dans un contexte de précarité urbaine : pauvreté grandissante, chômage, stress professionnel, vieillissement, désaffiliations (société d’individus), pollutions, érosion des ressources symboliques (valeurs),…quelle est sa place dans la ville ?
Un éclatement des activités et des initiatives rend difficile une approche concertée. Quelques appellations en font état : jardins ouvriers, familiaux, communautaires, collectifs, pédagogiques, scolaires, thérapeutiques,… Jardins de terrasses, sur les balcons ou sur les toits, micro-jardins, jardins en carrés,… Jardins de demandeurs d’asile, jardins d’insertion, de réappropriation des lieux, du temps choisi,…
Il y a là des enjeux importants de sécurité, voire de souveraineté alimentaires, de réinsertion socioprofessionnelle, d’aménagement du territoire par les usagers et notamment par les femmes, d’éducation, de santé (individuelle, éco-systémique et communautaire), de démocratie participative, de développement durable (éco-cités),…

L’exemple de Toyota au Japon
Comment rassembler ces questions urbaines et les multiples opportunités qu’offre l’agriculture en ville ? Nous le faisons notamment, à partir de l’analyse d’un cas précis que nous situons dans la ville de Toyota au Japon.

Jusqu’à la réforme agraire lancée par l’occupant américain, après 1945, le Japon était historiquement marqué par une perméabilité urbano-rurale forte et cela grâce à l’absence de villes fortifiées (à la différence de la Chine et de l’Europe). Cette symbiose fondait la civilisation japonaise.

Le Japon d’aujourd’hui, est confronté lui aussi, à des précarités «  sociétales » comme le vieillissement et la récession. Situation d’impasse et sentiment d’incertitude sont ressentis à travers le pays. Le boom du « retour à la terre après la retraite " (teinen kinô) indique qu’un bon nombre de nouveaux retraités de la génération baby-boom sont désireux de passer leur retraite en cultivant la terre et ainsi de retrouver leur Ikigai ( sens de la vie). Désignant des valeurs subjectivement accordées à la vie d’une personne,
Ikigai peut être envisagé dans les trois dimensions suivantes : personnel (soi), interpersonnel (entre-soi) et sociétal (citoyen). En général, la politique d’Ikigai se mène en termes de vieillissement actif ou de prévention de la dépendance et intègre les trois champs d’application suivants au niveau local : culturel (éducation permanente), social (volontariat, associations) et économique (petits emplois). Ainsi, le jardinage à but d’Ikigai constitue souvent un atout. Et au-delà de cette politique, si le vieillissement concerne de plus en plus l’ensemble de la population, le jardinage à but d’Ikigai ne contribue-t-il pas à améliorer la durabilité de notre société ?

Ainsi, Toyota, ville de taille moyenne (400 000 hab.), a lancé en avril 2004 le projet d’une nouvelle formation agricole destinée au public (agricole ou non) désireux de cultiver la terre à petite échelle. L’idée principale est à la fois de lutter contre la friche agricole et de promouvoir Ikigai dans la population vieillissante, constituée le plus souvent d’anciens ouvriers de l’industrie automobile locale. Ce projet dit « Nô-Life " (vie agri-rurale) est appelé à renouer avec de nouveaux types de préoccupations « citoyennes » inscrites dans un registre socioculturel ou écologique.

En Europe
En Europe, les « jardins solidaires » se veulent la traduction d’une volonté par les citoyens d’inventer et de découvrir de nouvelles relations à la terre, à l’espace, à la qualité de vie, à la santé, à l’autre,… en un mot d’un nouveau « partage solidaire de la ville » en vue d’une durabilité qui est sociale, environnementale, culturelle,… Et ce partage de la ville a une dimension proprement politique.
Si l’on peut saluer l’action de quelques communes, voire de diverses administrations, il faut cependant regretter que l’approche «  agriculture urbaine » soit émiettée au sens politique du mot alors qu’il s’agit sans aucun doute d’une nouvelle synthèse à élaborer. L’agriculture urbaine et ses « jardins solidaires » s’invitent comme des partenaires à part entière dans la ville de demain. Si la politique nationale est, comme au Japon, quasi absente dans la promotion de ce type d’initiatives, les collectivités locales sont de plus en plus appelées à jouer un rôle de coordinateur dans leur territoire en élaborant des idées transversales liant le culturel, le social et l’économique.

jeudi 28 août 2008

Notes

[1] - Sciences politiques et sociales, Université de Liège

[2] - Réseau des jardins solidaires

[3] - Institut de la Vie, Bruxelles


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