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A Kinshasa, « on se nourrit mystérieusement ! »

A Kinshasa, « on se nourrit mystérieusement ! »

L’agriculture urbaine et péri-urbaine (APU) fait partie du dévoilement du mystère.

Il faut considérer le phénomène urbain dans toute sa complexité. Les villes du Sud explosent. En 50 ans, la population de Kinshasa est multipliée par 40 ! L’exode rural qui en est la cause principale ne s’est pas accompagné d’une industrialisation parallèle. La ville africaine est pour une large part,une ville d’agriculteurs en perdition, de paysans sans terre, déracinés, expropriés culturellement, acteurs «  hors champs » . Dans les Kivus, les violences sexuelles chassent femmes et familles. Le lien ville-campagne se distend. La pauvreté devient majoritairement urbaine, l’affaire des femmes de plus en plus. Les grandes villes africaines situées au bord de l’océan sont comme des « veines ouvertes » par où s’écoulent bois exotiques, minerais, cultures de rente. Elles sont le plus souvent perfusées de l’extérieur et cette perfusion les maintient dans un état de langueur. Faut-il considérer l’agriculture urbaine comme une réponse limitée certes, à ces défis ? Quelle contribution à la sécurité alimentaire, à la re-politisation, au vivre ensemble urbain ?

Manger est la première nécessité. Parfois en situation de crise comme à Butembo et à Kinshasa en 1998 dans des villes coupées de leurs lignes traditionnelles d’approvisionnement ; comme à Cuba, en 1990 lors de la grande crise économique que subit le pays après la chute du mur de Berlin. L’agriculture urbaine permit de « faire le pont ».

Il est difficile d’évaluer avec précision la contribution de l’AU à la sécurité alimentaire. En moyenne, dans le monde, on estimait en 1996 que huit cents millions d’agriculteurs urbains produisaient 20 à 30 % de la nourriture consommée et donc participaient de manière appréciable, au premier objectif du Millénaire : éradiquer l’extrême pauvreté et la faim. La croissance économique n’entraîne pas une réduction parallèle de la pauvreté. Le renchérissement des prix de l’énergie et de la nourriture touchera en premier lieu les plus pauvres.

La ressource terre n’est pas absente de la ville. L’imagerie aérienne en fait un relevé précis mais non exhaustif. La terre, l’ingéniosité des gens la débusque partout (le micro-jardinage), voire dans ses trois dimensions, des toits aux balcons ou à la cave. Les oignons s’enroulent autour de sacs remplis de terre et troués à espaces réguliers.

La thèse est que l’AU s’invite comme un acteur stable, c’est à dire non transitoire, à part entière, comme un moteur du développement urbain durable, un outil de gouvernance locale et de convivialité, un vecteur de dynamismes économiques et sociétaires.

Elle fait face à beaucoup de griefs : des érosions mortelles entraînent glissements de terrains et ensevelissement des routes, des maladies et des pathologies diverses apparaissent suite à l’utilisation d’eaux souillées non traitées ou en conséquence de la pollution des sols. Mais ces griefs sont vécus comme des défis à relever, des occasions de dynamismes communautaires (des campagnes contre l’essence au plomb à Kinshasa), des capacités à construire.

Des règlements d’interdiction hérités parfois de l’époque coloniale constituent une autre contrainte, occasion pourtant d’un dialogue avec les autorités. Beaucoup de villes aujourd’hui n’en sont plus à se demander que faire avec l’AU (l’AU comme problème) mais que peut faire l’AU pour leur ville (l’AU comme solution) ? Cette ville, il faut la gouverner, c’est-à-dire, la partager. Ici intervient ce que l’on peut appeler le « droit à la ville », le droit de chacun à un logement, à l’eau, à la nourriture, à un environnement sain.
L’accès (la sécurité de la tenure) à la ressource sol parait plus important que la propriété elle-même : des contrats précis portant sur la mise en culture de terres momentanément abandonnées peuvent être utiles aux uns et aux autres. Dans la commune de Masina à Kinshasa, suite à la spoliation de leur terrain, une grande marche a regroupé plus de 1500 maraîchères. L’accès au micro-crédit et à la formation, l’organisation en filières, le souci de l’embellissement de la ville sont d’autres facteurs de construction de dynamismes et de capacités.…
Vers la ville convergent, apportées de l’extérieur et de l’intérieur des quantités considérables d’aliments sous toutes leurs formes, générant mille déchets le plus souvent organiques. Décharges sauvages, amoncellements dangereux ou matières premières ?
Par le compostage, la « boucle est bouclée » (L. Mougeot) et une sorte d’agriculture de restitution peut se mettre en place. D’autres sous-produits peuvent aller à l’alimentation animale et posent la question de l’élevage en ville. Dans les années 2004, les vaches avaient fait de Bujumbura leur lieu de tranquillité pour la nuit et perturbaient pas mal d’habitudes : des marchés aux fourrages se créaient aux portes de la ville.
On la retrouve à l’école avec ce même potentiel de sécurité alimentaire (les cantines scolaires), dans l’apprentissage de matières aussi classiques que la langue maternelle, les mathématiques, l’histoire, la géographie, les sciences, etc. Culture et agriculture au service de l’enfant en construction, sont deux leviers pédagogiques à privilégier.

L’agriculture urbaine au Sud ? Elle est partout, rebelle aux règlements, imprévisible et se faufilant dans les interstices d’une ville, rétive à la statistique,le plus souvent ignorée des comptabilités agricoles ( mais il faut « prendre en compte ce qui ne se compte pas », P. Viveret) , … négligée par la coopération car elle est souvent informelle, mise au défi de montrer ses potentialités…volatile en raison de l’insécurité foncière,… modeste car elle ne se donne pas l’éradication de la faim comme objectif à l’horizon 2000 et quelque chose, …difficile à saisir et englobante, fait social, capital communautaire,travail décent, apportant un revenu et un emploi, modifiant les rapports de la ville à l’espace, des citoyens à leurs autorités administratives et politiques, tissant un réseau d’activités et de partenaires,construisant des capacités,…Elle est reconnue comme priorité nationale ou urbaine, à Cuba, à Dar es-Salaam, Cuenca,…

Signature : un collectif d’associations Nord-Sud travaillant sur l’agriculture urbaine.
Michel Ansay (Institut de la Vie, Bruxelles)
Apollinaire Biloso (Kinshasa et ULB, Bruxelles)
Augustin Cihyoka (Diobass, Bukavu)
Thierry de Lannoy (MIR-IRG, Bruxelles)
Sylvie Demeester (SOLSOC, Bruxelles/Bukavu).
Véronique Felis et Michel Lutumbue (Rencontre des continents, Bruxelles)
Jean-Marie Godeau (ULg , Liége et CAUB, Butembo)
Paul Jacobs (ULB CP 179 et Institut de la Vie, Bruxelles)
Prosper Nguegang (CAUPA, Yaoundé , Cameroun et ULB Bruxelles)
Pierre Ongala (Réseau d’agriculture urbaine de Kinshasa, RAUKIN)
Wallere Sahani (CAUB , Butembo)
Jean Schmit (Enseignants sans frontières, Louvain-la-Neuve)
Kari Xavier Stévenne (Le début des haricots, Bruxelles)


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