Cher Roland,
J’ai lu avec beaucoup d’attention ta lettre à Bernard Lecomte sur le développement. Tu y fais des constats auxquels je souscris entièrement. L’objectivité qui te caractérise leur donne une valeur indéniable. Parler du développement en se référant à cette période charnière de l’histoire du Sénégal appelait les esprits à des bouleversements considérables : la crise qui nous a secoué et ses conséquences dramatiques exigeait de tous une volonté de dépassement. Ta générosité naturelle a aidé les Sénégalais à se dépasser. Cinquante ans après cette tourmente qui ne t’a pas épargné, tu as fait œuvre de paix. Le Sénégal te doit une reconnaissance éternelle. A la lumière d’une vie vécue au service des autres, plus précisément des plus faibles et des plus démunis, tu peux parler aujourd’hui, avec autorité, de développement, de ce développement humain sans lequel, il n’y aura jamais de développement durable.
Le plan Lebret se proposait de sortir de l’économie coloniale pour accéder à une économie de développement et d’auto-valorisation des ressources matérielles et humaines du Sénégal. La réalisation de cet objectif s’est heurtée à de multiples obstacles de nature diverse : l’économie coloniale n’a pas disparu, la mondialisation accentuant le déséquilibre entre le Nord et le Sud et la dépendance du Sud à l’égard du Nord. C’est peut-être le moment de redécouvrir et de réaliser ce qui fut et reste notre rêve commun.
La découverte de gisements miniers importants (l’Afrique est la quatrième puissance pétrolière du monde) a fait du Continent un enjeu économique et géopolitique que se disputent les puissances établies (USA, Europe) et les puissances émergentes (Chine, Inde, Brésil) Si les États africains pétroliers reçoivent une part de la rente pétrolière, leurs peuples n’en bénéficient pas.
De plus, le réchauffement climatique impose à l’Afrique de protéger ses sols, ses cultures, ses forêts, ses océans, ses eaux souterraines, la santé de ses populations, d’en promouvoir l’éducation et la formation en milieu formel comme en milieu informel, de ne plus diaboliser l’économie informelle qui produit un pourcentage important de richesses par rapport à un PIB qui n’exprime plus à lui seul le développement d’un pays. L’Afrique doit faire valoir sa personnalité.
Dans ces conditions, se posent de nombreuses questions. Comment l’Afrique doit-elle s’insérer dans l’écheveau des relations internationales ? En particulier, comment doit-on désormais envisager les relations afro-françaises ? Et les rapports avec l’Europe comme avec la Chine ? Du point de vue géopolitique et économique ? Quelles politiques d’éducation de formation et de santé ? Quelle politique de croissance ? Consommation à outrance ou investissement ? Comment faut-il utiliser les revenus des ressources minières ? Comment gérer la pauvreté ? Faut-il succomber, les yeux fermés, aux tentations chinoises ou choisir la voie d’une gouvernance vertueuse ?